Amitié au temps du post-déconfinement

« À l’heure de la Covid
Du confinement
Puis du déconfinement
Des masques, des peurs
Des chiffres, imposants ou ridicules,
De celles qui en font trop, 
De ceux qui n’en font pas assez... »

— Pourquoi dis-tu ça?

— On a perdu l’habitude de se voir, sans parler même de se toucher, de se prendre dans les bras, ne serait-ce que de se serrer la main... On a beau rigoler en singeant à distance des embrassades, bouger maladroitement des coudes pour faire des « checks » — encore un mot anglais pour désigner une sinistre nouveauté —, c’est un rire un peu jaune finalement, de celui qui masque la gêne, gêne universelle, même si elle est le plus souvent tue.

Silence.

— La distanciation a-t-elle créé un manque et une pression supplémentaire pour se voir dés que possible, en refusant enfin tous les outils artificiels de communication, les Skype, Zoom et autres téléphones sur lesquels nous nous sommes retrouvés ces derniers mois, plus ou moins contraints ? On aurait pu s'attendre à une explosion de retrouvailles au sortir du confinement, non ?

— Ça a été le cas dans certaines fêtes de jeunes.

— Sans doute, je n’y étais pas mais je peux l’imaginer et leur souhaite…

— Mais ça peut-être dangereux...

— Tout à fait, mais ça n'est pas mon propos. Je parlais plus de l’envie — manquante — que du suivi ou non de cette envie. Je me demande en fait si ces mois de distanciation sociale n’ont pas plutôt créé une habitude à ne plus se retrouver.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Une simple observation de la difficulté à inviter — même à un pique-nique — du faible nombre d’invitations que je vois circuler autour de moi. Une intuition, un ressenti...

— Peut-être tout simplement n’es-tu pas invité, toi ?

— C’est tout à fait possible et ma question tendrait à généraliser une situation tout à fait individuelle. Mais le point de départ qui me fait poser cette question ne change rien à la question elle-même : aurions-nous perdu collectivement un peu plus de lien entre nous à cette occasion ?

— Ça peut arranger certains, aussi...

— Exactement. J’ai d’ailleurs déjà posé la question autour de moi depuis plusieurs semaines.

— Et ?

— Et il est vrai que j’ai entendu un argument que je soupçonnais : celui de ne plus être obligé de suivre une certaine pression sociale, d’avoir acquis un droit de retrait nanti d’une certaine légitimité sanitaire.

— Tu crois ?

— Certainement, et je peux le ressentir moi aussi. Avons nous gagné une tranquillité, qui pourra être aussi triste que l’obligation qu’elle croit fuir ?

— Ça dépend des amis, non ?

— Oui, et qu’est-ce qu’un ami ou une amie ?

— Tu es plein de questions aujourd’hui, décidément.

— Je suis le même cheminement que le tien en arrivant à la nature des amitiés pour tenter d'expliquer les éventuels changements dans nos relations de déconfinement.

— Je t’écoute.

— Une définition de l’ami que j’affectionne tout particulièrement, habillée de de sagesse humoristique, est : Quelqu’un qui te connaît très bien… et qui t’aime quand même !

— Excellent.

— Une autre définition, plutôt en creux, m’est venue plus récemment : Quelqu’un à qui tu ne regrettes pas d’ouvrir ton cœur.

— C’est-à-dire ?

— Quelqu’un avec qui tu peux parler à cœur ouvert de tes ressentis, de tes inquiétudes, de tes idées noires, sans te faire juger.

— C’est moins fort.

— La formule, sans doute, mais la réalité me semble aussi fondamentale.

— Tu as des exemples?

— Oui. Tout le monde en a.

Silence.

— C'est une période pénible, surtout qu'on n'en voit pas la fin, qui exacerbe de nombreux travers de notre époque et nous laisse chacun un peu plus seul.

— Peut-être dramatises-tu un peu.

— Peut-être. Mais un bon résumé de ce coronavirus, c’est tout de même d’être un révélateur ou un catalyseur.

— C’est-à-dire ?

— Regarde le nombre de situations qu’on a trouvées nouvelles dés le début du confinement : le télétravail, l’abandon de situation évidentes, le commerce en ligne, la séparation physique des individus, la méfiance envers ce qui vient de l’étranger considérée comme raisonnable… toutes choses qui étaient déjà en cours dans notre société, mais à bas bruit, à une échelle plus réduite, à une vitesse plus lente.

— C’est pas faux.

— Qu’est-ce que tu n’as pas compris? C’est « bas bruit » ?

— Fais pas ton Perceval...

— Tu vois ce que je veux dire ?

— C’est tempor… J’espère que c’est temporaire, tout ça…

— Tu vois, tu n'es pas bien sûr non plus que ça le soit. Je dirais que nous transformons la société encore plus vite, avec encore plus de séparation entre nous, toujours moins d’inclusion et surtout toujours moins de volonté de faire société, en se côtoyant en silos, en parallèle, écoutant des musiques différentes, rarement ensemble, écoutant des films, des séries, séparément aussi, parlant des langues différentes, nous intéressant à des sujets certes variés mais rarement en commun, nous définissant comme des colocataires plutôt que comme des citoyennes et des citoyens en charge de notre démocratie. Et de là, nous nous inventons un monde dont chacune et chacun à de moins en moins l’impression de faire partie.

— Là encore, c’est peut-être juste ton impression.

— Exactement. Qu’en penses-tu pour toi même ?

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