La toile du goût des autres

Non, je ne parle pas de l'excellent film, le Goût des autres, que je vous conseille chaleureusement au passage. Je viens plutôt chanter la toile des goûts que l'on suit de découvertes en découvertes, de fils en fils, de relais en relais. Et plus vous courez sur cette toile et plus elle grandit, s'élargit, s'approfondit. C'est comme la connaissance : plus on en sait, plus on se rend compte qu'il en reste à savoir.

Comment ça fonctionne ? Attrapez un fil : faites-vous conseiller un livre, une œuvre, un auteur. Et si cela vous plaît, découvrez ce qui plaît à cet auteur et attrapez-en un autre fil puis continuez de proche en proche. Assez vite vous croisez des fils déjà suivis, assez vite se dessinent des pelotes qui sont autant de petits archipels de lieux, de souvenirs, de références, de clins d'œil, accueillants.

Une de ces chaînes pour moi se nomme Daniel Mermet à Romain Gary à Gabriel Garcia Marquez. En écoutant Là-bas si j'y suis, un invité a vaguement et rapidement mentionné les Racines du ciel, de Gary et Daniel Mermet a simplement lâché quelque chose comme « Ah oui, les racines du ciel... » ou un soupir qui pour moi en disait long. J'étais de passage à Paris et je suis allé rapidement dans une librairie m'offrir une grosse édition de cet auteur qui m'était alors complètement inconnu. Et je n'ai pas été déçu. Et j'ai suivi le fil jusqu'au moment où dans l'excellent Affaire homme, Gary dans un entretien, avoue que son auteur préféré était Gabriel Garcia Marquaz. Bingo ! Je l'avais déjà dans ma grille et j'en avais remonté le fil à partir d'un conseil moins personnel qui s'exprimait comme ceci : j'ai bientôt quarante ans et j'ai déjà entendu ce nom connu voire classique, essayons...

Et ça continue quelques années plus tard : une émission de radio qui s'appelle Les racines du ciel ne peut pas être complètement mauvaise, non ? Fort de ce préjugé positif, j'y ai trempé les oreilles pendant des années. Une émission intelligente sur les religions et la spiritualité, servie par des animateurs connaissant leur sujet et avides de partager des invités de qualité qu'ils dénichent et des extraits de lecture en onde. Bon titre ne saurait mentir, non ?

Et qu'y retrouvé-je en suivant ce nouveau fil religieux : un starets. Bien sûr celui des Frères Karamazov de Dostoïevsky avec qui j'avais passé de longues heures insomniaques il y a quelques années. Un starets à la semaine médiatique chargée puisque courant d'un studio à l'autre de France Culture, il était convoqué dans l'émission Répliques, d'Alain Finkielkraut qui me propose depuis longtemps tant d'invités et de sujets intéressants comme ce match ce jour-là entre Éros et Agapé.

Pas le temps de détailler, je suis maintenant Daniel Mermet et Zoé Varier dans les rues de St-Pétersbourg sur les traces de Raskolnikov – qui n'a pas l'air de bien aller – parti pour aller commettre son crime. Les habitants d'aujourd'hui leur donnent des indices aussi solides sur ce personnage du XIXe siècle que tout ce que l'architecture de la capitale de Pierre doit à Dostoïevsky.

Alors voilà pourquoi, à vélo, les écouteurs sur les oreilles, j'ai parfois un grand sourire. Plaisir égoïste, intellectuel et orgiaque qui croit que tout doit être entendu, connu, su ? Le jeu peut se jouer ou se relancer à deux ou plus : un cercle de lecture qui tourne avec douze fils à dévider par année ou simplement le hasard d'une conversation passionnante sur l'Afrique avec un amie passionnée : j'offre simplement les quatre mots du titre, qui font mouche, et je reçois en retour d'autres titres et un nouvel auteur : Le loup des steppes d'Herman Hesse, qui me ravit, loup que je repasse des années plus tard à une musicienne syrienne, etc.

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