L'énigme du retour, Dany Laferrière

Son père venant de décéder, l'auteur décide de quitter Montréal et revenir au pays, en Haïti, à cette occasion. Il nous fait partager une alternance de ressentis, de récits, en vers et en prose, genre haïku de ce voyage de retour. De ces notes prises en voyage transparaît un côté brut qui nous rapproche du moment où l'auteur les prend sur place.

Pour un immigrant comme moi, l'intérêt du livre tourne autour de la signification du retour. Le retour est associé à la famille. Il peut être aussi associé à la mort. Ici c'est un mort dans la famille. Même si le père décédé, prétexte de ce retour, vit et meurt à New York, c'est en Haïti que Dany Laferrière le retrouve, au travers des images retournées par ceux qui l'avaient connu.

« Nous avons deux vies. Une qui est à nous. La seconde qui appartient à ceux qui nous connaissent depuis l'enfance. »

À un même enterrement, chacun vient enterrer une personne différente, celle qu'il ou elle a connu, qui est unique pour chacun et chacune. Comme l'écrivait Paul Guimard dans L'ironie du sort, « Chacun porte en terre son propre mort, l'idée qu'il se fait du défunt. »

Mais c'est aussi Haïti, ses habitants, sa politique et les espoirs entre les deux que l'auteur vient rencontrer. Son père était un militant qui a dû fuir en exil ; lui-même à son tour et à son époque, s'est exilé. Il découvre de jeunes étudiants « encore plus désespérés » : « C'était quand même Duvalier. Les tontons macoutes. Les années noires. La police sanguinaire d'un régime barbare. Cette amertume vient peut-être du fait qu'ils ont un cru à un changement après le départ de Baby Doc. Rien de pire qu'un espoir trahi. »

Au-delà de la question d'Haïti, cette question d'espoir trahi, voire considéré comme impossible pour les jeunes générations d'aujourd'hui, est tellement représentatif de ce début de 21e siècle. Les pouvoirs qui ont remplacé les Bush, Sarkozy, Charest, les printemps ou les mouvements de dégagisme aujourd'hui des peuples de partout dans le monde l'expriment avec une présence et une force de plus en plus grande.

En visitant en même temps son pays sur trois époques de trois générations différentes – celle de son père par les souvenirs de ses amis restés sur l'île, la sienne et ses propres souvenirs d'étudiant, et l'Haïti d'aujourd'hui débarrassée de la dictature – il voit revenir les tentations d'ordre que ce manque d'espoir et le chaos engendrent, dans une conversation dont les mots des deux protagonistes restent emmêlés :

« il faut un chef dans ce pays, sinon c'est le désordre total. Où est le désordre ? Il me jette un regard effaré. Je vois plutôt un ordre. Les puissants gardent tout pour eux. Comme les petits n'ont rien, ils s'entredévorent pour les miettes qui restent. Si on nomme un dictateur, il va seulement officialiser cet état de fait. »

Mais une ballade en Haïti ou une ode à Haïti ne peut oublier ces Haïtiens, leur joie de vivre, leur envie de vivre, et nous servir en ce printemps d'orages :

« D'où vient que des gens qui font quotidiennement face à la maladie, la dictature et la faim paniquent tant à l'idée d'être mouillés ? Je retiens le visage radieux de ce paysan qui marche vers la pluie. »

Une nouvelle édition de L'énigme du retour a été publiée, illustrée de magnifiques aquarelles de Pierre Tougas.

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