Danse avec le siècle, Stéphane Hessel

Je referme ce livre de Stéphane Hessel avec une certaine émotion et un sentiment de gratitude. Dans la galaxie de mes références et leurs interconnexions, Stéphane Hessel avait pris sa place en 2009 quand je l'avais entendu pour la première fois dans l'émission de radio Là-bas si j'y suis, dans la lignée des résistants que j'y ai découverts : Jean-Pierre Vernant, Lucie et Raymond Aubrac, Maurice Kriegel-Valrimont et de leur message intemporel de résistance.

J'y avais trouvé d'abord un vieux monsieur souriant, un survivant des camps et d'une autre époque, révolue pour moi, une modestie, une élégance.

Plus tard, j'avais beaucoup apprécié son Indignez-vous, non par l'injonction qu'il contenait, que je connaissais et que j'avais fait mienne depuis longtemps, mais par le large succès rencontré qui allait à contre-courant des envies de baisser les bras qui nous prennent de temps à autre.

Dans cette danse séculaire, Hessel révèle son rôle et sa vocation de médiateur, de lien entre différentes cultures à commencer par ses origines berlinoises et son choix de la France, même pendant son interrogatoire par la Gestapo. Il nous fait découvrir les petites victoires et les fréquents échecs de la construction onusienne, l'évidence de sa nécessité et le combat que représente la construction de cette évidence.

Car pour un témoin (longtemps) vivant de ce siècle – il nous a quittés en février 2013 – cette évidence de l'ONU, malgré ses échecs, n'existait pas encore dans sa jeunesse. Né en 1917 pendant la Première Guerre mondiale, il a été résistant puis déporté lors de la Seconde. De ces premiers engagements, il tire la nécessité de faire évoluer le monde vers « un nouvel horizon où la responsabilité de chacun est plus claire, la solidarité entre civilisations dans le respect de leur diversité moins abstraite, l'engagement commun pour dépasser la fascination de l'économie et le culte de l'argent mieux partagé. ».

Il parle même d'une « nouvelle transcendance, loin de toute crispation identitaire et de tout sectarisme religieux, au cœur même de la nature humaine, qui rend corps dans l'exigence personnelle de convivialité et de générosité. »

Dans ses phrases, dans son discours transparaissent des décennies de pratique de la politesse diplomatique, avec l'humilité des survivants et l'humour de celui qui a vu beaucoup de choses et qui peut-être ne nous dit pas tout afin de se focaliser sur son but : la paix.

Afrique

Je partage aussi l'amour de l'Afrique de ce « fervent des voyages [..] qui réussit à dormir dans les avions » : « Plus je vieillis, plus l'Afrique m'est nécessaire. » Les pages sur sa mission au Burundi avant et après le génocide du Rwanda éclairent son engagement d'une vie et on a envie de croire avec lui le Burundais Eugène Nindorera, qu'il cite : « Affirmer le destin propre et la voie singulière de l'Afrique demande du courage. Mais n'en doutez pas. Le siècle qui s'annonce sera pour ce continent l'ère de sa résurrection. »

J'ai noté aussi une longue liste d'œuvres, des livres et quelques poésies, qu'il distille au long de sa danse. Il y bien sûr Jorge Semprun qui l'a aidé à écrire sur les camps et à traiter la difficulté d'en parler au retour : « J'insiste sur le quotidien interminable des camps, cet avilissement progressif, insidieux, presque irréversible de l'homme « concentré » qui devient loup pour survivre, chimérique pour rester sain. Pas facile à décrire. »

Il nous mentionne aussi des ouvrages de Sartre, D. H. Lawrence, Kafka, Joyce, Horst, Greene, son ami Morin dont j'ai noté les titres et que j'espère lire prochainement.

Un excellent choix de lecture, pour saluer son départ, mais aussi pour rappeler la nécessité de continuer son utile et fragile combat alors même que le Canada était en train de saboter et trahir le Protocole de Kyoto puis la Convention des Nations-Unies sur la désertification :

Les objectifs des Nations-Unies « ont été affirmés et ré-affirmés par tous les États, et ce ne sont pas seulement les gouvernements qui y souscrivent de bonne ou mauvaise foi, mais l'ensemble des acteurs de la société civile qui les prend à son compte. »

À nous de jouer.

Toutes les émissions de Là-bas si j'y suis avec ou sur Hessel

Citations

« J'insiste sur le quotidien interminable des camps, cet avilissement progressif, insidieux, presque irréversible de l'homme « concentré » qui devient loup pour survivre, chimérique pour rester sain. Pas facile à décrire. » p. 127

« Jorge Semprun m'a aidé à comprendre cette difficulté à écrire sans défigurer, à expliquer sans se perdre. » p. 127

« J'admets qu'il n'y a pas de démocratie sans Parlement, pas de parlement sans partis, pas de partis sans appareils. » p. 178

Francophonie : « une récompense, accessible avec un peu d'efforts à tous ceux qui trouveront dans ce merveilleux outil une des meilleurs clefs au royaume des vérités et des beautés. » p. 178

« fervent des voyages et qui réussit à dormir dans les avions ! » p. 245

« Plus je vieillis, plus l'Afrique m'est nécessaire » p. 251

Avocats sud-africains aux Burundais en mission chez eux :« Prêchez la paix maintenant, ou vous enfants ne vous pardonnerons pas ! »

Retour du Burundi en 1996 : « Qu'étions-nous allés faire dans ces confins équatoriaux ? Peut-être voulions-nous simplement ne pas garder pour nous, partager avec ceux qui n'osaient pas y croire, notre conviction que les sociétés peuvent et doivent évoluer vers plus de justice, plus de liberté, moins de violence. «  p. 389

« Affirmer le destin propre et la voie singulière de l'Afrique demande du courage. Mais n'en doutez pas. Le siècle qui s'annonce sera pour ce continent l'ère de sa résurrection. » (Eugène Nindorera, Burundi) p. 390

« [Les objectifs des Nations-Unies] ont été affirmés et ré-affirmés par tous les États, et ce ne sont pas seulement les gouvernements qui y souscrivent de bonne ou mauvaise foi, mais l'ensemble des acteurs de la société civile qui les prend à son compte. » p. 396

« un nouvel horizon où la responsabilité de chacun est plus claire, la solidarité entre civilisations dans le respect de leur diversité moins abstraite, l'engagement commun pour dépasser la fascination de l'économie et le culte de l'argent mieux partagé. Ainsi s'amorce une nouvelle transcendance, loin de toute crispation identitaire et de tout sectarisme religieux, au cœur même de la nature humaine, qui rend corps dans l'exigence personnelle de convivialité et de générosité. » p. 397

Danse avec le siècle, Stéphane Hessel, Points, 1995

Ajouter un commentaire

Les commentaires peuvent être formatés en utilisant une syntaxe wiki simplifiée.

Ajouter un rétrolien

URL de rétrolien : http://45nord.net/index.php?trackback/81

Haut de page