La place

– Messieurs, je nous ai réunis aujourd’hui pour nous entretenir des moyens d’investir la place que vous savez. Il n’est plus le temps de tergiverser, ni d’évoquer la nécessaire patience de travaux d’approche. L’audace sourit aux audacieux et… euh… la fortune ricane des… velléitaires et des... procrastinateurs!
– Fort bien, fort bien, Monseigneur. Votre farouche volonté est légitime ainsi que votre envie d’en découdre, toute naturelle. Cependant, voyez-vous, il serait bienséant de nous rappeler la mésaventure de la fois précédente, où nous nous brûlâmes…
– Ce sera différent cette fois!
– L’âme, trop ardente encore…

– Foin d’intériorité et de passé!
– L’avenir en est pourtant le fils naturel…
– Renions cette filiation qui nous dessert.
– Justement, le moment du repas est-il lui-même un bon choix. Elle…
– Et alors! En quoi l’entremets eut-il été plus judicieux? Quelle est cette idée de penser qu’il y ait des circonstances plus valables que d’autres? Diantre, le bon moment, c’est celui de la réussite, de l’atteinte du fruit farouche, qu’à la fin de l’envoi, on touche!
– Peut-être faut-il entendre ceci de manière plus abstraite et préférer construire patiemment un climat propice. Laisser du temps au temps…
– Toutes ces circonvolutions ! Quarante deux ans, le temps n’a-t-il pas pris le sien? N’est-il pas celui d’enfin convoler?
– Messire, n’est-ce pas souvent le temps qu’on vole? Et si c’est vrai, vous serez bientôt chef d’escadrille… Et puis, le temps ne fait rien à l’affaire, quand on est…
– Chef d’escadron, pas d’escadrille! Et que vient faire cette promotion dans cette discussion? Une fois de plus, vous voulûtes dresser un écran de fumée?
– Voulus-je ou non de fumeuses volutes, le fait est là : vous fûtes en butte et parûtes bien mal à propos…
– Mais, c’est ma volonté! Foin de moments propices!
– Et pourtant, il en est de judicieux, même si, personnellement, je ne suis ni pour ni contre, mais laisse la Nature me dicter son temps.
– Justement! La Nature! Nous sommes bien sous son emprise et elle se rit de nous, la traîtresse.
– Mais elle est tout au contraire notre alliée, qui joue en face pour nous, qui accomplit un travail de sape patient mais efficace.
– Je vous parle en hussard, vous me répondez en sapeur! Je vous offre l’ivresse, vous me servez du Camembert…
– Tout doux, tout doux, voilà au mois un mariage raisonnable, celui du vin et du fromage…
– Ce n’est pourtant pas le temps de penser à manger. Ah! Je vais faire marcher tout ça à la baguette, moi!
– Merci, c’est effectivement ce qui nous manquait : le troisième pied du trio amoureux vin, fromage et pain…
– Goinfre!
– Bah… Vous vous emportez, vous vous échauffez les sangs, vous bouillez dans votre carapace de bien-pensance et voilà que vous étouffez. Quel passionné!
– Et vous, à tout décortiquer, à tout vouloir comprendre, en détail, en profondeur, du haut, de côté et gnan gnan gnan… Vous vous croyez passionnant?

Et la place fut abandonnée; et elle court toujours…

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