Mariage à Ampelle

Texte de 2008, que je republie aujourd'hui.

Retrouvailles

Un peu de géographie : à la sortie d'Agen, les paysages vallonnés de champs variés se déroulent jusqu'à Moirax, petit village perché sur une colline et couronné d'un magnifique prieuré où se déroule la cérémonie. Voutes et dallage de pierre, grande nef, les premières notes de violon ou de guitare intimident...

Et puis les retrouvailles. Elles avaient commencé dans le train de Paris qu'empruntaient aussi Thierry et Stéphanie avec leurs deux enfants Guillaume et Chloé la rebelle. Elles se poursuivent au long de la répétition des chants, dans l'ordre d'arrivée sur scène : Marc, qui a eu la bonne idée de me faire apporter mon violon, Aymeric, son fils cadet, accompagné d'un jeune garçon inconnu, qui s'avère être mon filleul Tanguy, méconnaissable avec sa tignasse si peu familiale ! Puis Isabelle, rayonnante en grande tenue et Maëlis qui la suit de près. Michel et Isabelle, très attendus pour débuter les répétitions de chorale, arrivent. « Touen, touen, touen... », deux revenants surgissent : Cyrille et Hélène, en grande allure. Plus tard, Guillaume, chasseur, Étienne et Béatrice au volant de leur panier à salade bleu gendarmerie. Et le héros du jour, Dominique, qui pénètre dans la nef.

Quel plaisir de se retrouver, de voir à l'œuvre la magie qui nous fait converger en ce lieu magnifique et inconnu depuis des centaines ou des milliers de kilomètres. Et je ne suis pas d'accord avec toi, Marc, la nostalgie, c'est délicieux. Se remémorer tel ou tel détail qui rouvre des souvenirs enfouis de journées mémorables, des époques passées un peu oubliées, des situations qui nous font à la fois nous rappeler et nous faire mesurer ce que nous avons vécu depuis.

Car en définitive, lorsque je voyage en France, ce que j'aime c'est cette double dynamique : retrouver la présence des amis et mesurer le grand écart depuis mon départ pour le Québec. Les amis pour parler, pour se souvenir, pour continuer des conversations anciennes, mais pas nécessairement sur les mêmes bases, en incliner les positions, en surprendre les évolutions, entendre et jouer avec l'ironie. Et le grand écart comme repère de mon propre chemin, de mes réflexions, de mes combats, de mes valeurs.

Lors de mon premier retour en France en 2000, je me souviens très bien du double regard – stéréoscopique – que je portais sur le pays : celui de l'étranger que j'étais devenu doublé de celui du fils du pays qui retrouvait les automatismes, les façons de faire, les pantoufles de sa terre natale.

Ce double regard perdure depuis, tout est vu à la fois comme une nouveauté intéressante, insolite, ridicule ou dépassée et comme une idée vieille comme le monde, une évidence, une vieillerie de mon enfance.

La cérémonie

Les cérémonies religieuses de mariage ont toujours quelque chose de très personnel. Ce n'est pas seulement, comme le pensent les cyniques, le tampon d'une heure qui permet à tout le monde d'être à l'heure au vin d'honneur, ni la dernière période de révision sur les noms et les prénoms oubliés des vieilles tantes et des cousins éloignés ni même la perçante évaluation des chapeaux, des robes et du travail du temps...

Non, quelle que soit la pratique et la certitude des croyances, c'est, pour les mariés, l'affirmation publique du lien et de son caractère sacré, et pour les invités, le témoignage et le support de cet évènement marquant.

À mon propre mariage, je me souviens très bien de la pensée qui s'est imposée à moi au moment, où debout dans le chœur, j'entendais la première note de la musique d'entrée : « Enfin... on arrête de préparer... ». Six mois de détails, de changements, d'explications, de décisions, de préparation, pour la cérémonie, les textes, les chants, la chorale, pour les tenues, pour la musique, le repas, les vins, l'apéritif, la tente, l'éclairage, les transports, les invités, les familles, les faire-part, les photos, les alliances, les fleurs, les frais, les papiers... Ouf !

Une fois lancée, la fête du mariage se déroule comme une lente et douce baisse de tension.

Chacun est venu converger dans les embouteillages, en achetant un pantalon au dernier moment, en retard, la tête pleine des préparatifs ou des problèmes du quotidien, les tenues sont impeccables, les enfants tenus en laisse serrée. La première tension reste évidemment le début de la cérémonie, si on oublie la répétition de la chorale et des musiciens qui est un peu technique et locale. Cette tension culmine à l'échange des consentements. D'ailleurs, la mesure la plus évidente de ces moments forts, c'est la densité des flashs et la consommation de film qui en est faite. Films et photos dont la moitié – celles des plus petits et des plus gênés – sera remplie des dos des autres photographes et vidéastes plus imposants...

Puis, dés la signature des registres, tout le recueillement, le respect des lieux, les petits sourires discrets de reconnaissance laissent la place à des embrassades de plus en plus bruyantes, de vraies retrouvailles, moins discrètes, des rires, de la joie. La tension baisse d'un grand coup et continue sa chute sur le parvis, même si les flashs se lâchent encore en rafale : on tire en l'air finalement, sauf le professionnel de service et l'oncle à photo.

Certes, la tension tentera bien de reprendre sa place à l'arrivée pour le vin d'honneur mais le plaisir de continuer les retrouvailles de la sortie de la cérémonie et le vin donneur de gaieté contribuent à faire baisser la garde : les accessoires des tenues vont se percher sur les dossiers de chaise, les chapeaux s'envolent pour se poser ailleurs, les vestes se vident de leur torses cravatés.

Et je parle à peine du moment de s'assoir en respectant les plans de table qui ont demandé tant de travail de composition, à faire rentrer le cercle des amis dans le carrés des critères hiérarchiques, sociaux, pratiques, amicaux, familiaux et autres. Consciemment ou non, à chaque table, ces 6 à 8 convives vont trouver un rythme, un équilibre, une sympathique alchimie en se répartissant en douceur les rôles de boute-en-train, de vieux sage, de princesse du soir, de jeune premier, de bavard impénitent, de timide perdu, de gardienne de la tradition, de pourvoyeur familial d'anecdotes ou de who's who sur pattes.

La tension continue à descendre. Tous les verres sont à tout le monde, on a arrêté depuis longtemps de s'inquiéter de savoir où on a mis le sien. Les sketchs et la dérision tendrement irrespectueuse des amis ou des frères et sœurs y contribue avec toute sa créativité, ses succès de scène ou d'édition, ainsi que ses maladresses et ses private jokes.

Et la nuit se poursuit; plus de but, de rythme à respecter, le temps s'efface. Savoir l'heure constitue une gratuité tout à fait inutile, surtout s'il n'y a pas d'enfant à décider de se coucher ou de lendemains qui attendent de retourner au carcan de l'emploi du temps.

Le jour suivant, pour les survivants, la tension a totalement disparu. Bien sûr, je ne parle pas du travail de celles et ceux qui dans l'ombre ont assuré qu'il y ait encore à boire et à manger. Mais dans nos demi-tenues qui la veille ne toléraient pas le moindre cheveu en désordre ou la moindre tâche, nous coupons en chœur des caisses entières de melons sucrés, nous partageons un repas sans plus de ce protocole ou de ce formalisme pourtant si importants sur les mêmes lieux quelques heures plus tôt...

Cette lente baisse de la tension, ces tutoiements qui prennent le dessus, ces salutations simples et complices, ce doux dépouillement qui rapproche les convives souvent encore inconnus les uns des autres la veille est un grand plaisir partagé.

Merci à Claire et Dominique. Merci à leurs familles et toutes celles et ceux qui ont permis ces 24 heures délicieuses, de la première pierre d'Ampelle au dernier melon épluché.

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