Critique de l'époque

— Vous n’êtes finalement que très peu critiques.
— Au contraire, nous sommes contre les vieilles idées, le racisme, le patriarcat, les boomers, les politiciens — tous pourris —, la consommation, la viande, tout ce qui n'est pas éthique, le spécisme… ça ne te suffit pas ?
Moulins à vents

— Non, ça n'est pas une question de quantité, ni le nombre, ni la taille des moulins à vents que vous croyez abattre.
— Mais on ne croit pas les abattre, on est vraiment contre.
— Je sais, je n’interroge pas votre sincérité, de plus elle est de votre âge, tout à fait réelle et naturelle. Je pense cependant que vous n’êtes pas assez critiques. Vous n’interrogez pas les postures que vous prenez. Vous les endossez, contents d’en avoir trouvé une à votre goût ou à votre taille, content de « faire partie », d’être dans le camp du Bien, des bonnes personnes, ayant le cœur à la bonne place — et c’est parfois tout à fait vrai — mais ça ne devrait pas vous faire faire l’économie de la réflexion, de l’interrogation…
— Mais pas du tout...
— Malheureusement, je crains que si. Et une façon de porter cette critique est de se relier aux luttes passées. Non pas pour considérer qu’elles seraient les seules justes, des modèles à copier, mais plutôt pour s’interroger sur les ressemblances et les différences entre celles d’hier et celles d’aujourd’hui.
— Mais le monde a changé, ces vieilleries ne servent plus et risquent même de nous faire perdre du temps en nous intéressant à des luttes et à des solutions qui ne sont plus d’actualité.
— Qu’est-ce qui n’est plus d’actualité? Des détails, de l’écume, mais le fond des choses et la profondeur des enjeux restent les mêmes. Et c’est en y plongeant son regard que devraient surgir des questions sur l'évolution de ces luttes.
— Je ne saisis pas…
— Par exemple, comment expliques-tu qu’une partie de la gauche promeuve aujourd’hui le port du voile islamiste alors qu’il y a à peine dix ans, il était considéré par les mêmes — et avec justesse — comme un marqueur misogyne, conservateur, voire réactionnaire et anti-féministe?
— Les modes changent…
— Si ça n'est qu’une question de mode, de longueur de tissu, peut-on s'attendre que les capirotes du Ku Kux Klan redeviennent par magie à la mode aussi et soient défendus comme un « choix » ?
— C’est pas pareil, c’est un costume raciste et suprémaciste…
— Donc on est d’accord tous les deux pour y voir autre chose qu’un simple bout de tissu, même si celui ou celle qui le porte le fait par « choix » libre, même quand ça n'est pas le KKK-Day à l’université?
— Le quoi?
— Le KKK Day. Le jour où on propose aux femmes et aux hommes de porter le capirote pour montrer la volonté d’inclure cellezéceux qui en font le choix et qui risquent d’être discriminés pour cela…
— Tu rigoles. Ça existe?
— Non ? Ou alors pas encore. Et si ça n’existe pas, ça ne devrait pas tarder. Qui, né avant 1979, aurait pu imaginer qu’un jour on fasse la promotion du hidjab chez nous, avec un Hidjad Day, alors que dans d’autres pays, les femmes qui refusent de le porter sont emprisonnées, voire tuées, même lapidées ?

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