Dessin de rencontre

— Arrêtez-vous ! Stop ! Ne bougez plus !

Le jeune femme, sous l’effet de la surprise, s’arrête, tout en se demandant pourquoi elle obéit à cet ordre venant de cet inconnu un peu plus loin devant elle. Elle venait de monter jusqu’à ce village abandonné d’Occi et débouchait entre les ruines, sous un magnifique olivier, sur un espace dégagé quand elle l’avait aperçu qui semblait descendre de plus haut dans la montagne. L’homme fouillait dans son sac rapidement et en sortait un carnet tandis qu’il tenait un stylo dans sa bouche. Passée la surprise, elle allait se remettre en marche.

Village abandonné d'Occi

— Non, non, rechtez où vouch’ êtes, ch’est parfait », l’interrompit-il en faisant de grands gestes avant de se mettre à dessiner dans son carnet. « C’était donc pour ça qu’il s’était permis de l’arrêter à distance. » pensa-t-elle, rapidement rassurée, voire amusée, en le regardant mieux. Sans trop vouloir le montrer, elle arrange subrepticement sa pose, esquissant une moue à peine différente, avançant très légèrement un genou, se déhanchant à peine tandis qu’elle replace une mèche d’un geste rapide mais précis. « Ça n’est pas mon bon profil… ». L’homme, d'un geste légèrement agacé ou désespéré voudrait bien empêcher ses très légers changements mais déjà son crayon les a acceptés et il corrige son dessin pour cette nouvelle image agencée au goût du modèle.

— J’ai presque fini... » fait-il d’un air pressé, souffrant et s’excusant de ne pas être aussi rapide qu’un appareil photo et inquiet de la voir repartir déjà. Elle goûte désormais le cocasse de la situation, s’imaginant déjà la raconter à ses amis. « Voilà, voilà, j’achève », mais il continue, son stylo rajoutant tel détail, corrigeant telle ligne, soulignant telle ombre. Son œil va de la femme à sa feuille, imprimant dans sa mémoire à court terme la prochaine partie qu’il va s’approprier et y déposer, prévoyant les rares éléments de décor dont il accompagnera son personnage. Ce sera la limite haute de ce mur de pierre écroulé, rien que le tracé de cette limite ; ce sera aussi cette autre façade, prise de profil, offrant une ombre qui équilibrera les contrastes ; peut-être ce groupe d’asphodèles, mais très stylisé...

Et d’elle, qu’a-t-il déjà saisi et couché sur sa feuille ? Ses cheveux bien sûr, noirs, assez courts, qui la couronnent et appuient son regard, éclaircissent son visage et le nimbent d'une ombre de décision et de force. Sa tenue simple, celle d’une marcheuse à l’aise dans ses vêtements arborant des couleurs qui ne la font ni se fondre et disparaître dans les pierres et le maquis ni passer pour une publicité criarde : pantalon bleu marine tirant sur le noir, pull léger vert émeraude, un petit foulard autour du cou à motifs où dominent blanc et rose. Sa silhouette, droite, fine, légèrement décalée par ses propres ajustements de posture, ne montre aucun signe de fatigue de l’ascension passée et reste soulignée sans ostentation par ses choix vestimentaires.

Craignant toujours de la voir rompre la pose et même la magie de ce moment, il esquisse quelques gestes de patience entre deux traits et avance même de deux pas hésitants vers elle. Mais elle n’envisage plus de partir ; elle non plus ne souhaite pas rompre ce moment de grâce impromptue.
« J’ai bien fait d’oser crier pour qu’elle s’arrête. »
« J’ai bien fait de ne pas bouger. »

— Vous dites ?
— Pardon ?
À bonne distance, il leur faut tout de même élever la voix pour s'entendre. « J’aurais juré avoir entendu dire ça »

— Presque fini, voilà…
« Dommage »

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