Tout frais sorti de l'atelier d'écriture

Cette fin se semaine j’ai vécu la passionnante expérience d’un atelier d’écriture avec l’association Artelibri d’Île Rousse, animé par Marie Ferranti. Nous avons étudié plusieurs notions comme les éléments d’introduction, la gradation de la peur, les personnages secondaires et écris chacun des lignes pour nous y frotter.

Les lectures de la dizaine de participantes — presque toutes des femmes — était de très haut niveau et très variées. Je vous livre ici une partie de ma propre production, à peine sortie de l’atelier.

Symbole de l'Afrika Korps

Le milan royal passa au-dessus d’eux.
— C’est vrai que c’est beau…
— Hein ?
— Je dis que… ». Il s’interrompit net. « À quoi bon finir sa phrase ? » La traversée s’achevait, une de plus, les amarres étaient presque toutes installées, l’équipage s’affairait dans la tranquillité de la routine, les passagers se pressaient vers les ponts des véhicules.

« De toute manière, ils ne m’écoutent pas vraiment… ». « Ils », ses collègues, les marins du Monte d’Oro, qui assurait la rotation entre Île Rousse et Marseille. Et lui, Pierre, qui se sentait si différent d’eux, toujours la tête dans des histoires du passé, si incompris de ceux qui le raillaient en l’appelant « Pierrot Calvese », le rêveur, le poète… Il ne leur en voulait pas, d’ailleurs, et se complaisait parfois dans cette distance mais qui lui semblait porteuse d’une sourde inquiétude, d'une potentielle angoisse.

Et une fois de plus, dans un ballet de gestes répétés si souvent, le navire s’était immobilisé, amarré, fixé à la terre de Provence. Une fois de plus, le défilé des motos, autos et camions s’était déroulé dans un désordre pressé, chacun tentant de reprendre son rôle d’individu pour quitter celui, collectif, de passager. Pierre traversait le pont principal des véhicules, désert mais encore chargé des gaz des moteurs pour rejoindre sa cabine y récupérer ses affaires avant de débarquer à son tour. Avisant sur le côté bâbord une petite porte qu’il n’avait jamais remarquée auparavant, il s’en approche, étonné de se sentir attiré. Il en saisit machinalement la poignée et ouvre la porte qui débouche sur un petit escalier raide descendant…

— Qu’est-ce que tu cherches ? » Pierre sursaute à cette question criée de l’autre bout du pont. Le type n’a pas l’air commode, à contre-jour dans l’ouverture béante de la poupe. Il ne le reconnaît pas comme un des collègues habituels. Peut-être l’a-t-il déjà croisé ? En tout cas, vu son ton désagréable et son allure franchement patibulaire, il n’a jamais cherché à le connaître plus.
— Euh… rien, non… » Pierre referme la petite porte en la montrant, gêné, pour tenter de justifier maladroitement qu’il l’ait ouverte, « Je me demandais… » puis il s’éloigne ostensiblement pour fuit la scène désagréable qui clos cette traversée jusqu’alors plutôt tranquille.

Ramassant ses affaires dans sa cabine il se remémore une conversation entendue quelques jours plus tôt au bar du navire en fin de soirée. À mots couverts, en se retenant d’en dire plus et à coup de sourires convenus et de signes de connivence, on y évoquait du matériel ancien, on y parlait de cinéma — « Gérard parle trop dans son film » —, de « trésor », même, et d’un collègue disparu récemment… Son sac sur le dos, Pierre s’apprête donc à débarquer et repasse par la large pont des véhicules. La grande planche qui avait masqué si longtemps la fameuse petite porte en face a été remise en place et la cache à nouveau aux regards.

Le pont est désert, la rampe d’accès et le large quai au bout aussi. Le silence a repris sa place, à peine troublé par le ronronnement de la machinerie et que Pierre, désormais habitué, n’entend plus. Il marche vers la sortie. « Tout de même, dans ce petit espace derrière cette porte, en haut de l’escalier, j’ai bien vu une caisse ou des planches… et dessus était imprimé des lettres et un sigle. On aurait dit des branches stylisés, comme une tête de palmier…. ». Il ralentit son pas. « Il n’y a vraiment personne ici. Tout le monde a dû partir, le service fini. J’ai bien envie d’aller voir… »

Surpris de son audace, Pierre revient sur ses pas, pousse la large planche sur sa gauche, dégageant juste ce qu’il faut pour accéder à la petite porte, s’y glisse et la referme derrière lui. Il est aussi surpris de voir ses mains trembler au moment où il maintient la poignée pour ne faire aucun bruit. « Je ferais bien de ressortir tout de suite, d’autant qu’on peut voir de loin que la planche a été déplacée… » Il s’apprête à repartir lorsqu’il aperçoit les marques entrevues plus tôt. Il époussette la poussière : sur la planche, coupant en deux le tronc du petit palmier est dessinée, bien visible, une croix gammée. C’est le symbole de l’Afrika Korps qui se trouve sur ces planches de caisse très anciennes, l’armée allemande d'Égypte, de Libye et de Tunisie lors de la Seconde guerre mondiale !

La curiosité est maintenant la plus forte : plus question de sortir, il s’engage le cœur battant dans le petit escalier métallique tout raide. « Afrika Korps », il se remémore la délicieuse pantalonnade « Africa Corse » qui parle du potentiel trésor de Rommel perdu ou caché autour de Bastia. Arrivé en bas des marches baigné par le faible éclairage de secours, il pousse une autre porte qui s’ouvre sur une pièce encore plus sombre. Il y distingue malgré tout de nombreuses caisses, sans doutes militaires aussi quand soudain, il entend, venant du pont du dessus, des pas précipités et des éclats de voix qui se rapprochent, menaçants.

« Dans quoi me suis-je fourré ? Je n’avais qu’à quitter le bord et ma journée était faite mais me voilà piégé. » Une sueur glaciale commençait à couler le long de la nuque de Pierre. « Ça me rappelle la fois où j’avais cassé le carreau de la voisine et que j’étais allé cherché le ballon dans son jardin, par-dessus le mur… » Un claquement sec le ramène à la réalité du présent, lui ramollissant les jambes. « Comme avec cette fille, j’étais figé à chacune de nos rencontres, les jambes flageolantes, incapable de la moindre… » Vlan !, c’est la porte du haut de l’escalier qui vient de s’ouvrir violemment. « Qu'est-ce que je vais pouvoir raconter comme justification de ma présence ici ? ». Au lieu de répondre à cette réponse bien théorique, la boule au ventre, Pierre referme derrière lui rapidement, mais sans bruit, la porte du bas et se retrouve maintenant complètement dans l'obscurité. Tentant de mémoriser la place des tas de caisses qu’il a entrevus juste avant, il s’éloigne de l’entrée à tâtons, tremblant des mains de plus en plus. « Ça doit être ça, une crise de panique… Dans cette situation où perdu dans un lieu inconnu, poursuivi par des types qui veulent certainement ma peau, je me mets à philosopher sur ma peur : est-ce que j’ai autant peur que quand j’ai rapporté un bulletin scolaire calamiteux ou est-ce plutôt de l’ordre de la peur d’une défaillance sexuelle ? »

Les pas dévalant l’escalier raide le rappellent à la réalité brutalement. Pierre enjambe la caisse qu’il sent devant lui pour tenter de trouver une cachette derrière l’empilement à sa gauche. Son cœur bat à tout rompre, sa tête lui tourne et pourtant les idées se bousculent comme venant d’un monde parallèle, d’un monde autre, dans lequel il ne serait pas à deux doigts de se faire trucider par des inconnus dans un lieu perdu et isolé. « Quel intello je fais ! Une créature vivante normale trouverait de quoi fuir, ou de quoi contre-attaquer… Dans les films, le héros trouve un vilebrequin, une manivelle et assomme le premier méchant qui s’avance. Comme disait Audiard : une brute qui marche va plus loin que deux intellectuels assis ! Voilà, Taxi pour Tobrouk ! Justement, Tobrouk, toutes ces caisses en proviennent certainement. Mais c’est pas en fuyant dans les souvenirs historiques et les références cinématographiques que tu vas t’en sortir, mon p’tit gars ! » se dit Pierre juste avant que la porte ne s’ouvre d’un coup violent. Le peu de lumière qui entre alors lui donne une meilleur idée de la répartition de la pièce. Il est tout à fait caché là où il est mais tout à fait impuissant, désarmé, le corps incapable de bouger et la pensée focalisée sr la scène, ici et maintenant, le regard rivé devant lui sur les caisses, leur disposition, les outils…

Les outils ? Oh ! Une manivelle ! « Comme dans les films… Chut ! Prends la sans bruit ». La peur n’a pas quitté Pierre, mais la lourde manivelle bien en main, il sent qu’elle n’est désormais plus seule en jeu. « C’est comme si… Chut ! Tu compareras plus tard. L’œil, la main, la manivelle dans la main, c’est tout ». L’énergie dans l’air a maintenant bien changé.

Pierre dira, beaucoup plus tard :
— C’est comme si la peur avait toqué à la porte, « Y a quelqu’un ? » et le courage avait répondu « Non, personne ».

Références

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