Resurgit alors le souvenir de mes visites à la famille, il y une vingtaine d'années : Sylvie, Vincent et les enfants, Coviel, Camille et Dorine, tout petits… Je revois comment la mère transmettait à ses enfants son plaisir de voir arriver ce sirop qui sortait de mes bagages et mesure aujourd’hui, comme elle avait réussi.
— Vous étiez à Clamart à l’époque, je m’en souviens très bien.
Les souvenirs se reconstruisent, un à un : le quartier, la maison, le jardin, la salle à manger et la cuisine. Je me souviens aussi très bien de nos discussions politiques avec Vincent. D’un côté ce premier Vincent, qui militait déjà chez les Verts et de l’autre, le second Vincent, avec Dominique et d'autres, qui le taquinait. De vive voix lors des réunions de famille, ou par courriel, moyen technique qui naissait alors. Discussions passionnées ou stériles, gauche-droite essentiellement, mais qui ne nous n’empêchaient pas de nous retrouver tous, sur place, dans notre engagement collectif pour la construction des écoles primaires au Burkina Faso.
Un jour, à bout d’argument contre ces têtes dures, ce premier Vincent avait lâché par courriel au second quelque chose comme « je ne comprends pas que des types intelligents comme vous puissiez ne pas comprendre cela… ». Je ne me souviens plus du tout du sujet de la conversation mais je me souviens très bien m’être dit alors qu’il y avait possiblement quelque chose qui m’échappait, à côté de quoi je passais, aveuglé par la controverse. Autrement dit, le désespoir que trahissait ce coup de pied au cul méritait que je pense à l’extérieur de la boîte.
Nous étions alors fin 2000, j’immigrais au Québec avec ma propre famille depuis un an. Les élections fédérales s’affichaient dans Montréal et alors que je sortais prendre une pause avec des collègues, j’avisais une pancarte électorale du parti vert fédéral : « Ils vous promettent la lune, nous vous promettons la terre ». Joli slogan qui me décida à les appeler pour savoir s’il y a avait une réunion publique dans ma circonscription, piqué par la curiosité et avec l'intention de raconter au premier Vincent à quoi ses copains écolos ressemblaient outre-Atlantique.
— Vous êtes candidat ?
Déjà à l'époque les Verts canadiens recrutaient avec légèreté et dans l’urgence. Je n’étais même pas électeur, alors…
— Non, pas du tout.
— Alors, il n’y a rien de prévu d’ici les élections...
Ce n’est donc qu’après ces élections de mi-décembre 2000, que ces Verts canadiens du Québec se sont regroupés pour un post mortem dans un café alternatif très sympathique de Montréal, le Ludik, pour parler de la suite à donner au mouvement. J’y suis allé « pour voir », « pour un ami ». Une fois sur place, pour justifier d’oser poser des questions, j’ai pris des notes, puis les ai rédigées comme compte-rendu officiel. La question du moment, que le nouvel immigrant européen que j’étais ne saisissait qu’à moitié était de décider si les verts québécois allaient créer une instance québécoise du Parti vert du Canada fédéral ou créer un parti vert provincial pour les élections québécoises... Lecteurs européens, ça vous mêle aussi ? Vous saisissez donc bien mon état d’esprit du moment...
J’en suis ressorti avec la conviction que je pouvais certainement donner un coup de main à tous ces gens de bonne volonté qui voulaient faire de la « politique autrement » — oui, on clamait ça déjà à l’époque, et sans doute avant aussi ! Comme mon compte-rendu avait été apprécié, j’ai rédigé celui de la rencontre suivante de janvier 2001. On y a formé des comités, dont un, exécutif, chargé de la création du Parti vert du Québec. J’ai senti qu’il pouvait être une bonne idée d’en être pour la suite. À la troisième réunion, nous nous sommes répartis les rôles : avec mes deux compte-rendus, j’ai été étiqueté secrétaire de l’exécutif du Parti vert du Québec, poste que j’ai occupé cinq ans, au cœur des élections partielles et générales, et malheureusement aussi de toutes les chicanes que même un parti microscopique peut susciter en son sein…
Le premier Vincent avait inoculé au second un virus écologique qui l’a poussé ensuite à militer dans divers organismes, regroupements, engagements contre les ports méthaniers, les gaz de schiste, pour l’indépendance et la transition énergétiques jusqu’à devenir l’éphémère conseiller politique d’un ministre de l’environnement qu’il avait rencontré lors de ses premières réunions de décembre 2000 et qu’il avait suivi pendant toutes ces années.
Quand le fil des souvenirs croise celui des transmissions, quand le souvenir sucré revient sous forme d’engagements de décennies...
Première photo :
- Haut : Daniel Breton, Jessica Gal, Richard Savignac, Philippe Morlighem et sa fille, ?
- Bas : Zoé, Vincent et Margot François.
1 De Marielle -
Super texte, beaucoup de nostalgie
2 De Vincent -
@Marielle : Merci !