Buzzwords

Texte de 2008

Deux hommes d’affaire à cravate dans un café montréalais ou ailleurs... L’un explique un nouveau projet informatique à l’autre qui sirote son café les épaules basses et l’air très concerné. Les mains du parleur assurent une chorégraphie sans surprise mais pourtant si importante sur une musique dont la monotone monodie appuie sur les grands classiques : « systémique », « maillon », « couche technologique », « application », « Microsoft », « fédéral », « provincial », « mesurable », « vérifiable », « nouveau paradigme », « indépendamment de l’outil », « sécurité », « la compétition »…

De temps à autre, l’interlocuteur hoche la tête puis se remet à siroter, ça occupe ses mains et sa bouche. Car s’il se met à trop hocher la tête en acquittement des trames de conversation reçues, il ne saura plus s’arrêter et risquera de laisser paraître qu’il arrête de comprendre.

Le débit des buzzwords faiblit, il les a sans doute énumérés chacun au moins deux fois. Mais voilà l’avocat du diable qui semble avoir pris possession du corps du second…

Non, simplement, il montre qu’il a déjà tout ça. « C’est pas ça », relance le premier, avec une rafale d’autres buzzwords, mais il ne s’agit plus maintenant de les lancer en l'air pour arroser mais il faut les accrocher chacun aux objections évoquées et leur triviale réalité. Les mains, surtout l’index se remettent à danser. Il va falloir entrer dans les cas concrets et les exemples, misère…

Je suis moqueur, mais convaincre, j’y joue aussi parfois. Aujourd’hui, c’est moi l’observateur à la terrasse, alors même avec un peu de tendresse, je ne les rate pas. On est jamais mieux trahi que par ses semblables, non?

Le premier a pu finalement pousser un « excellent » et je vous annonce ici que l’humanité va faire prochainement un grand pas, soit en exécutant ce projet, soit en l’annulant…

Note de dernier instant : le second a finalement sorti un stylo et écrit quelque chose sur une carte de visite. Je le soupçonne de refiler le bébé à une collègue : « Je ne la connais pas, mais… ». Il va donc falloir au premier tout répéter à cette nouvelle personne, qui ne sait pas ce qui l’attend. Sans doute, à une autre table, sous d’autres cieux, nous les retrouverons tous les deux pour suivre ensemble l’avancée de ce projet certainement passionnant.

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