Une cousine

Montréal, station Mont-Royal, à la sortie. Il attend sa cousine.

Arpentant la place et scrutant chaque nouveau visage qu'il rencontre, il attend.

Près de l'entrée, à l'extérieur, il y a une autre personne qui attend. Quelques minutes auparavant, elle avait traversé la place dans une robe noire de soirée, courte, les épaules nues, des talons semi-hauts.

Plus étonnant encore que sa robe dans cet endroit était le fait qu'elle traversait la place sous un léger crachin de fin d'été, tiède, au milieu des autres passants qui eux utilisaient des manières et des matières variées et étanches de s'en protéger : parapluies, manteaux, sacs plastiques, course...

Il s'approche :

— J'attends ma cousine. Est-ce vous ?

La jeune femme, interloquée, ne répond rien.

— Puisqu'elle n'arrive pas, et que vous attendez aussi, je me suis dit que pour des raisons pratiques, ça pourrait être vous. En terme de temps gagné, c'est assez optimisé : aucun de nous deux n'a donc plus de raison d'attendre... »

— …

— Voulez-vous être ma cousine ? Pour un soir ?

Elle le regarde les yeux écarquillés :

— Mais... je ne la connais pas, votre... cousine... Comment voulez-vous que ?...

— Je vous donnerai des trucs...

— Vous... Vous êtes un dingue. Laissez-moi tranquille. Et puis... j'attends quelqu'un. Voilà.

— De tout façon, moi non plus, je ne la connais pas très bien. Ça vous laissera de la latitude pour improviser.

— Vous êtes fou.

Il n'insiste pas et se remet à arpenter la place. Les autres personnes apparaissent et disparaissent : danses de course, d'attente ou de désarroi, suivies de retrouvailles souriantes ou glacées, le tout rythmé par la pulsation des arrivées du métro. Chacun évite avec les mêmes gestes la petite flaque devant la lourde porte.

Dans ses allées et venues, il évite de trop se rapprocher d'elle mais la pluie augmentant, il finit par se retrouver à l'abri, à ses côtés :

— Vous êtes encore là ? » demande-t-il, l'air un peu gêné.

— Oui, il va bientôt venir.

— Qui ça ?

— Mais ça ne vous regarde pas », fit-elle en jouant machinalement une attitude un peu outrée.

— Mmm... Laissez-moi deviner...

Pas de réponse.

— Un ami ? votre chum ? votre mari ?

Dénégation un peu hautaine de l'intéressée, qui détourne ostensiblement la tête.

— La famille, alors ? Un... un cousin ?

Elle se détend alors et se retourne plus calme :

— Oui.

— Ah ! » et il se sent tout heureux de voir alors tout l'univers se remettre en un ordre logique, élégant et même fonctionnel. « Vous voyez bien. Et vous le connaissez bien, votre cousin ? »

— Oui, enfin, pas très très bien... Il y a longtemps que je ne l'ai pas vu.

— Aime-t-il les sushis ?

— Je... je ne sais pas... Sans doute...

— Et vous ?

— Oui, oui, j'aime ça.

— Ça tombe bien, ma cousine aussi.

— Comment ça ?

— Elle aime les sushis ; vous aimez les sushis. Ça vous fait déjà un point commun, facile en plus ! Vous voyez ?

— Comment ça : je vois.

— Je dis qu'il doit être facile de trouver des points communs comme celui-ci.

— Mais où voulez-vous en venir ? J'ai pas besoin de me faire cruiser ici !

— Mais pas du tout, vous vous méprenez. Mais il y a un bon restaurant de sushis pas loin et j'imagine que vous aussi, vous avez faim. Mais je n'en sais rien en fait : avez-vous faim ?

— Euh... oui, mais j'ai prévu d'aller souper avec mon cousin.

— Ça tombe bien, moi aussi.

— Je mange avec lui, avec mon cousin. J'ai réservé une table. Pour deux. Je ne vous ai pas invité.

— Je dis : ça tombe bien, moi aussi, je mange avec ma cousine. Encore un point commun.

Elle se retourne complètement vers lui :

— Attendez, qu'est-ce que c'est que cette histoire de fou ? Non mais, si je venais manger avec vous – qu'est-ce que je raconte, moi ? – je ne vais pas abandonner mon cousin avec qui j'ai rendez-vous pendant ce temps...

— Avec un peu de chance, il rencontrera ma cousine. Vous aviez réservé où ?

— Mais ! Là... tout près.

— Parfait, on pourra surveiller la place de cet endroit.

— Bon. Juste pour l'attendre, alors.

— Oui, on verra bien lequel des deux arrivera en premier.

Et il se mirent en chemin sous la pluie légère qui continuait de tomber sur ses épaules nues.

— Vous n'avez pas froid ?» fit-il en lui proposant sa veste.

— Non, je vous remercie.

— Comment vous appelez-vous ?

Elle lui dit son prénom.

— Je vous l'avais dit que ce serait facile de trouver des points communs ! » fit-il en éclatant de rire.

— Et vous ?

Sa réponse la fit rire de surprise.

— Et vous aussi vous aimez vous baigner dans les lacs en automne ?

— Bien, oui, parfois, ça m'arrive... Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

— Rien, rien... Tenez, entrons. Permettez... je passe devant.

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