Impressions conscientes

Assis au café de l'Orient il écoutait et regardait autour de lui mais avec une acuité qui se voulait différente. Déposant les jugements, les tentatives de compréhension ainsi que la prévision routinière d'éventuels dangers, il se focalisait sur chaque perception en elle-même...

Vue sur Montemaggiore depuis le port de Calvi

Ce chien qui jappait d'un petit bruit rauque et répétitif, ces oiseaux qui piaillaient depuis différents arbres du port autour de lui. Ces deux passants qui parlaient une langue inconnue, se rapprochant par là de celle des oiseaux. Encore d'autres oiseaux — des tourterelles roucoulant — interrompus bientôt par d'autres aboiements d'un chien plus tonnant.

Justement un autre chien venait de glisser à sa droite, pelage fauve, collier rouge, la langue pendante et l'air sérieux qu'ont les chiens et les hommes en mission. Et le revoilà qui passait dans l'autre sens, certainement appelé dans sa charge importante et devant répondre à une injonction toutes affaires cessantes.

Au moment où il prenait conscience de la sensation d'envie qui pointait sur sa langue et qui coïncidait avec le verre de lait frappé au café qui rappelait sa présence dans son champ visuel, le léger courant d'air frais qui se glissait sous son col se manifestait en lui donnant l'heure de ce début de soirée en cette journée nuageuse dont le couvercle s'appuyait encore sur les cimes des montagnes fermant la vue de la baie de Calvi. Plongeant la longue cuiller dans la chantilly pour assouvir cette brève envie de sucré, et sa tête tournant pour l'avaler, son regard y associa par la même forme longue et la même couleur blanche les jambes de cette grande femme très brune qui parlait quelques tables plus loin.

Il attrapait ainsi toutes ses sensations, en les faisant monter à sa conscience mais sans chercher à les relier à ce qui pouvait occuper son esprit d’habitude, en laissant les associations se s’établir toutes seules. Le tout en tentant de les décrire sur son téléphone au fur et à mesure avant de retourner se délecter de la lecture de son auteur favori, Romain Gary.

Au-delà de ce petit kaléidoscope d'impressions, il pensait au concept de port qui se dessinait à travers la vue des quais et des navires, à l'ouverture sur la mer, sur l’ailleurs, à cette frontière que représentait le bord du quai à deux pas de lui. Une ligne de démarcation oubliée entre le monde sec et celui humide des poissons, des crustacés et des algues, entre le monde civilisé des touristes, passants et serveurs et l’absurde dans lequel il plongerait s’il la franchissait là, maintenant, tout habillé…

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