Tombé de la table d'écriture de Capriccio ma non troppo.
Dans un chemin creux bordé de mûriers, nous avisons un homme qui en cueille les fruits encore un peu jeunes. Je les avais moi aussi goûtés mais trouvés encore trop dures, à ma grande déception. Je m'en étonne : « Buongiorno, elles sont assez mûres ? »
— Pas vraiment, mais je les mange avant qu'elles soient mûres pour qu’ils n’en profitent pas… » avec un clin d’œil complice plutôt désagréable. » J’ignore qui sont ces « ils » mais je n’ai pas très envie de le savoir.
— Mais, ils ne vont sans doute pas manger des mûres vertes…
— Avec ces gens-là, on peut pas savoir. Et puis quand elles seront mûres, ils ne s’en priveront pas… Je les mange donc maintenant pour que personne n'en profite à ma place plus tard ! »
Je reste un peu estomaqué, mais par dérision lui réponds dans son sens : « Vous avez raison. Moi qui ne sors que rarement de chez moi, j'ai fait abattre tous les arbres centenaires de mon jardin, qui ne me serviront plus à rien… Et à quoi bon faire de l'ombre aux autres quand je n’y serai plus... »
Je le sens qui vacille un peu : « Centenaires ?… Mais… votre père, ou je-ne-sais-qui les avait plantés, tout de même, enfin… il les a plantés et n’en a pas vraiment profité… »
— Oui, il était bête aussi : de son vivant c'était de petits arbres ridicules et c’est maintenant qu’il est décédé qu’ils pourraient lui faire de l'ombre… » et nous le quittons pour continuer à gravir le petit chemin creux en rigolant dans nos têtes.
La pédagogie par l’absurde est-elle vraiment plus efficace que prendre des postures morales, voire méprisantes pour la bêtise humaine. Je n’en sais rien, mais au moins, c’est drôle et à défaut d’apprendre en s’amusant, on peut toujours enseigner en se marrant, non ?
Illustration : Maquis en fleur, Aquarelle, 24 x 30 cm, ©Vincent François